IA générative et médias : c'est une question de modèle économique, pas de journalisme
Décider de ce que vous faites avec l'IA générative qui produit des articles, et non l'IA tout court, c'est un problème de positionnement de votre média.
Vu comme ça, c'est bien plus simple de décider quoi faire avec ce "nouveau" truc tech dont tout le monde parle sans vraiment savoir quoi en faire une fois passé le "On va gagner en productivité !" (ok, mais pour faire quoi de plus ?).
Soit vous considérez que votre mission est de faire du contenu pour faire de l'audience afin de jouer à la fois sur le volume en programmatique pub et avec le fol espoir d'attirer des abonnés. Alors l'IA générative n'est pas un sujet : foncez. Multipliez les articles cela reste encore le meilleur levier pour créer le plus d'urls différentes possibles sur votre domaine, plus ou moins sur des sujets d'actualité, pour continuer dans les prochains mois / années à attirer le plus de monde possible en couvrant le plus de sujets possibles.
Soit vous considérez que vous faites du journalisme. Dans ce cas l'IA générative ne peut pas être utilisée pour des productions destinées au public.
Elle peut être utilisée au sein des rédactions comme un commencement de preuve, à la condition de donner la capacité aux journalistes de critiquer la réponse à leurs prompts. Nous retombons sur un usage identique à wikipedia : en tant que journaliste nous pouvons l'utiliser pour avoir des pistes de recherches mais certainement pas comme lieu d'information.
Elle peut aussi être utilisée pour tous les autres métiers nécessaires dans un média, par exemple pour guider les utilisateurs via un chatbot sur les problématiques d'abonnement, ou pour générer des textes marketing personnalisés en fonction de chaque utilisateur.
En quoi la mission d'un média empêche l'utilisation de l'IA générative pour sa production ?
Pour une histoire de confiance. Je remets là ce que je prône depuis de nombreuses années : le métier d'un média, et des journalistes, n'est pas de produire du "contenu". Et encore moins de créer une représentation de la réalité via des textes, des images ou des sons qui ne sont pas des témoignages de la "vraie" vie.
Il est d'écouter et de sentir ce qu'il se passe dehors, de choisir les sujets, de croiser les infos, les vérifier, proposer des points de vue différents, le tout pour donner la capacité à ses publics de mieux comprendre ce qui les entoure et faire des choix éclairés.
Une fois qu'on a dit ça, est-ce si simple ?
Dans l'absolu, oui, le public a du mal à accepter l'IA dans les médias. C'est ce qui resort d'une étude publiée par La Croix qui explique que "62% des français n'auraient pas confiance dans un média qui utilise l'IA".
Et ne suffit-il pas alors d'être transparent et d'indiquer les contenus produits avec l'IA et ceux produits par des humains ? Et bien non, c'est même pire : d'après une étude réalisée aux US en début d'année joliment intitulée "Or they could just not use it ?", avouer que certains articles sont produits avec l'IA jette un discrédit complet sur l'ensemble.
Où l'on retombe sur la simplicité du choix qui dépend de votre raison d'être. Vous êtes un média, ou vous êtes un producteur de contenus, c'est à vous de le décider.
Si vous, journalistes, syndicats, éditeurs interrogez votre raison d'être, et toutes les conséquences que cela implique dans vos pratiques et vos produits, je suis à votre disposition pour vous accompagner.
L'autre option, si vous n'avez vraiment aucun scrupule : publiez des contenus réalisés par l'IA sans prévenir. Une chose que l'on verra probablement rapidement : nourris aux OGM du search depuis deux décennies, nombreux sont les médias qui multiplient les thématiques verticales, ajoutent des services, publient des "articles" publicitaires dans le but de faire de l'argent et non d'informer.
Et le public y fonce pleine balle, comme le montre "newsbreak" : l'application d'info la plus téléchargée sur les appstores US en ce moment est une application d'info locale générée par une IA et issue de Chine. Avec des hallucinations non négligeables, comme par exemple un contenu faisant état de coups de feu dans une petite ville du New Jersey, ce qui est complètement faux.
En soi, la recherche d'argent n'est pas sale mais ces pratiques apportent de la confusion qui impacte négativement la confiance. Or la robustesse du modèle économique d'un média, c'est la confiance dans le contenu, pas la hype tech du moment.
Précision : je ne suis pas contre l'intelligence artificielle, je l'ai même mise en place à plusieurs reprises en utilisant des algorithmes qui aujourd'hui sont utilisés dans les IA génératives. Je pense notamment aux capacités NLP (Natural Langage processing) qui, en... 2017, nous ont permis de repérer au sein des articles les noms des candidats aux élections législatives pour créer automatiquement des liens qui renvoient vers leurs pages.
Plus récemment, dans la suite du chatbot Bonjour Marianne qui fonctionnait comme un arbre de décisions, nous avions commencé à discuter en 2020-21 avec les équipes de Syllabs sur la possibilité de créer un chatbot d'actualités entièrement automatisé, avec d'un côte du NLP pour comprendre les messages des lecteurs et de l'autre du NLG (Natural Langage Generation) pour générer des réponses en nous basant sur nos articles. Nous en sommes restés à l'état de discussion, et aujourd'hui tout ceci est accessible relativement simplement via les API de Mistral, OpenAI, Google et autres.
Enfin, les algorithmes sont utilisés depuis des années dans le data journalism, pratique que j'affectionne particulièrement. A ce sujet, il est amusant de noter que les deux articles primés aux Pulitzer sont promus aujourd'hui comme des articles "IA". Il y a quelques années, on aurait simplement dit qu'ils étaient du data journalism. Ou comment la hype change le storytelling... mais ça c'est un autre sujet.
Sources et bonnes lectures complémentaires
- Sur La Croix "62 % des Français n’auraient pas confiance dans un média qui utilise l’IA"
- L'étude sur l'impact de la transparence IA : "Or they could just not use it ?" - The paradox of AI Disclosure for Audience Trust in the news
- Sur Nieman Lab : "Pour la première fois, deux gagnants du Pulitzer expliquent utiliser des outils IA dans leur travail"
- Sur 60 millions de consommateurs "Ces faux articles qui cachent de vraies publicités"
- Sur Reuters : Most downloaded US news app has Chinese roots and 'writes fiction' using AI
Pas de spam, pas de partage avec des tiers. Juste vous et moi.
Discussion des membres